La longue marche des boîtes de conserve vers l’intelligence

Les chatbots sont des membres de la confrérie des robots. Les robots ont été annoncés longtemps
avant leur existence réelle par la mythologie (grecque, biblique) et ses avatars littéraires les plus
récents, notamment la science-fiction. Dans ces histoires, des créatures artificielles douées de raison,
et plus ou moins libres de leurs actes ont le pouvoir d’aider ou s’opposer à l’humanité. Lorsqu’on
parle de chatbot, on évoque cette intelligence. Mais à partir de quand décidons-nous que cette
intelligence existe et que ce chatbot en est vraiment un ? D’ailleurs y a-t-il vraiment un seuil, binaire,
au-delà duquel on constate cette intelligence ou bien est-ce une progression continue de l’inanimé à
l’animé ?

Plutôt que de tenter ici de vainement trancher ce débat philosophique, nous allons plutôt nous
intéresser à la nature de cette intelligence ou plutôt aux diverses natures de ces intelligences. Car
derrière la grande excitation du marché et des médias pour cette technologie émergeante se cachent
des réalités très diverses. Nous nous sommes focalisés ici sur l’intelligence cognitive et celle du
langage.

Il est important de noter que ce ne sont pas les seules formes d’intelligence et que l’intelligence
émotionnelle ou l’intelligence interpersonnelle sont de celles qui ne sont pas couvertes dans la suite
de cet article même si elle a un rôle à jouer dans la qualité d’un chatbot. La raison en est que nous
avons choisi de privilégier ce qui est indispensable à servir une conversation, c’est-à-dire son sens et
sa pertinence. Il est certain que l’empathie et la sympathie sont des éléments très importants eux
aussi mais alors que le service peut être rendu sans empathie, il ne peut pas être rendu sans
pertinence. Cela explique notre choix.

Pour donner une échelle de progression, nous avons arbitrairement choisi une note pour chaque
capacité citée plus loin. L’échelle proposée n’est pas linéaire et le lecteur pourra construire sa propre
vision de cette échelle indicative, l’idée étant de faire prendre conscience de l’existence de ces stades
de progrès et de leur plus ou moins bonne prise en charge par les chatbots existants aujourd’hui.

Commençons par le langage.

Pour traiter le langage naturel émis par ses interlocuteurs humains, le chatbot doit faire appel à la
reconnaissance des mots, de la syntaxe, de la sémantique et de la conversation.
La reconnaissance des mots va de la simple correspondance lettre à lettre avec une référence bien
orthographiée (ce que l’on appelle parfois la reconnaissance par mot clé) à une reconnaissance
approximative tolérant les erreurs. Note de 1 à 2

Vient ensuite la syntaxe qui guide la compréhension de la structure des phrases, du rôle des mots
dans cette phrase et de la position qu’ils y occupent ainsi que des variantes engendrées par les
accords et la conjugaison. Là aussi la tolérance aux erreurs, propres à l ‘expression humaine est
essentielle. Note de 3 à 4

Enfin, la sémantique permet de rattacher cette phrase à sa signification. C’est cette partie qui est la
moins formelle et la plus « intelligente ». On est capable d’accomplir cette prouesse notamment en
s’appuyant sur les graphes de synonymie associant les mots proches en cliques. Ces regroupements
constituent des ontologies propres à un domaine. L’ontologie du commerce n’est pas celle de la
plomberie ou de la fiscalité. Note de 5 à 7

Pour finir, la reconnaissance de la conversation permet de reconnaître les ontologies applicables au
discours en donnant une cohérence d’interprétation à l’ensemble. Hélas, le domaine peut changer en
cours de conversation et parfois même en cours de phrase et les ontologies ne sont pas des
constructions statiques et formidables mais bien plutôt des structures en évolution et variant de
locuteur et locuteur et d’environnement en environnement. Note de 8 à 10

Le cerveau humain est toujours inégalé aujourd’hui dans ces tâches et les techniques les plus
avancées dans ce domaine ne donnent des résultats satisfaisants que dans les cas les moins
perturbés et les plus simples.

Et finissons par la capacité à répondre

Mais une fois le langage analysé, pour savoir répondre à une interaction humaine, en supposant que
son sens en ait été parfaitement cerné, il faut une capacité d’identification du raisonnement (ou
processus cognitif) qui permettra de formuler en retour l’interaction avec l’humain que celui-ci
attend ou espère.

Pour cela, il est possible d’appliquer à la lettre une recette préétablie, décrite par ceux qui ont conçu
le chatbot. Cette recette pourra être appliqué sans personnalisation ou être influencée par le
contexte d’utilisation. Note de 1 à 2.

Il est possible également d’appliquer une de ces recettes en donnant une latitude au chatbot pour
s’écarter du cadre prédéfini, notamment par l’apprentissage des chemins les plus efficients ou par
l’intégration de données contextuelles dans la détermination de ces chemins. Note de 3 à 4

On peut également offrir au chatbot une capacité à construire une nouvelle recette par analogie avec
une recette existante, cette capacité dépendant de sa compréhension de la recette modèle et de sa
proximité avec la situation et de sa capacité à adapter plus ou moins profondément la recette de
départ pour compenser l’écart entre la notion originelle de la recette et la notion proche, identifiée
dans la situation actuelle. Note de 5 à 7

On peut enfin imaginer, car les travaux dans le domaine sont encore balbutiants que le chatbot
puisse bâtir seul une recette sans modèle sachant que cela dépend de capacités d’apprentissage qui
sont à la fois limitées à ce que le chatbot a pu expérimenter donc à son exposition à ces situations et
par sa capacité à les interpréter donc sa capacité d’interaction avec les situations. On conçoit
facilement qu’une telle capacité est très limitée pour un objet informatique dépourvu des sens et des
moyens de se déplacer et d’interagir avec son environnement dont bénéficient les humains. Note de
8 à 10.

Où en sommes-nous ?

Les notes des chatbots de 2017 oscillent entre 0 et 10 sur 20. On se rend compte que pour assister
les humains, cela peut déjà suffire, pourvu que le problème soit simple, la solution déjà éprouvée et
l’exigence de l’humain peu élevée. En revanche, on voit aussi que cela illustre les grandes disparités qui
existent dans les outils proposés dans ce domaine et doit inciter à la vigilance lors du choix de ces
outils et de leur adaptation au besoin à satisfaire.
Quelle note a obtenu votre chatbot ? La longue marche est loin d’être terminée mais elle a vraiment
commencé…

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